JAZZ MAGAZINE, 26th May 2024 (Piano Solo Concert Review)

C’est encore à Jean-Paul Ricard que je dois la découverte de cette pianiste coréenne qui vit désormais à Salon et que l’on entend trop rarement en France. J’avais beaucoup aimé son duo avec le trompettiste Ralph Alessi (un remarquable album à la pochette d’un bleu intense striée finement d’entailles de Lucio Fontana). ‘Exude’ album release — Francesca Han Trompettiste que j’avais déjà pu entendre au Méjan en 2013 dans un autre duo Only Many avec Fred Hersch, ce pianiste remarquable que Jean Paul Ricard rêvait d’inviter.

S’il est regrettable de ne pas entendre la pianiste dans un des grands festivals saisonniers, c’est dans une atmosphère feutrée, intimiste, autrement dit dans la chapelle du Méjan que l’on apprécie le mieux son récital entre jazz et classique. Francesca Han s’est frottée depuis longtemps à diverses cultures qui irriguent son inspiration. Maîtrisant tous ces apports, elle sait mettre en valeur le son et ses couleurs mais aussi le silence. Ainsi en est-il du premier thème, l’une de ses compositions que je n’aurais jamais associée au titre qu’elle lui a donné, Camargue, révélant ainsi sa vision de ces paysages insolites plus ou moins fantasmés. On pourrait reprendre le mot “exude” pour évoquer ce qui est secrété, distillé, qui perle dans sa musique. Elle n’a pas besoin d’être entourée pour développer ses rêveries, “bibelots” sonores d’où surgissent un monde de sensations délicates. Retenant notre souffle, tellement attentifs que paradoxalement je ne reconnais pas dans son interprétation suivante son Count Yourself, inspiré évidemment du Count Down de Coltrane qu’elle enchaîne avec le Blue in green du cher Bill Evans dans une version étirée, caressante, puissamment méditative. L’ oeil écoute en concert, fasciné par l’artiste au travail, en pleine réflexion, retenant parfois son geste, entre suspension, retrait ou au contraire emportement. Est en question le jeu entre écriture et improvisation, comment finir reste toujours délicat, ne pas laisser passer le moment. Elle présente ses titres sobrement, comme essouflée, sortant d’un songe, d’une transe qui l’a emportée très loin. Plutôt encline à des confidences mélancoliques sur Enfant Autumn, elle réveille notre humeur avec un medley enjoué du magicien Sun Ra dans Love in Outer Space avant de nous livrer un petit bijou Le Musichien du pianiste François Tusques, chef de bande free dans les années soixante-dix qui créait des “ateliers de jazz populaire” à la recherche de ces musiques de danse festives avec une fonction sociale, ancrées dans leur région basque, bretonne ou corse (Le Musichien fut d’ailleurs publié par Edizione Corsica en 1981). Et pour clore ce concert unique, elle choisit librement dans un vaste répertoire le Think of one de Thelonius Monk en respectant le rythme saccadé et sautillant du maître : plus désarticulée et expressive, son jeu a une qualité précieuse, une plasticité qu’elle tord à sa manière. On a entendu ce soir tout un art de pièces vives, libres, impressionnistes ou plus fougueuses. Elle nous saisit au départ par une fragilité apparente, vite démentie, une douceur qui peut s’avérer violente, une sûreté d’exécution quel que soit le registre. Et elle nous subjugue pour finir avec sa reprise du thème délicatement ourlé du Melancholia de Duke Ellington. Un parcours sans faute!

Sophie Chambon.

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Francesca Han